please look at me again
sage & carrie

Si les choix de vie de Carrie ne lui avaient pas toujours valu de grands compliments, sa vie professionnelle avait quant à elle son lot d’événements plutôt sympathiques. Chanel organisait régulièrement des petites soirées, présentant leurs nouvelles collections d’accessoires à une petite poignée de privilégiés dans ce coin de pays. Et évidemment, leur égérie et sa photographe de petite amie y étaient toujours conviées. Sans jamais être oubliées jusqu’à présent. Bien sûr, rien ne serait pareil puisqu’elles s’y rendraient pour la première fois à deux, et non pas à trois comme c’était le cas au cours des dernières années. La jeune femme reste un long moment à s’observer dans le miroir en ressassant ses pensées endeuillées en boucle. Ses cernes n’ont pas diminué avec les insomnies à répétition malgré les longues journées de travail qu’elle avait abattu les jours passés. Et même l’excellent maquillage que lui avait conseillé Naomi ne suffisait pas à effacer de son visage la douleur toujours aussi vive qu’à la première heure. Pourtant, elle s’efforce de croire que cette soirée ne peut leur faire que du bien. Depuis l’incident « affaires de Sara », les conversations étaient rares et il semblait que Sage parte en courant dans la direction opposée dès que la photographe entrait dans son champ de vision. L’envie d’engager la conversation pour crever l’abcès lui avait plus d’une fois effleuré l’esprit mais l’occasion idéale ne s’était jamais présenté. Ou alors se cherchait-elle des excuses pour justifier son manque total de courage.

La jeune femme réajuste sa robe noire à la coupe ajustée, droite au décolleté profond dans le dos. Rien d’extravagant mais elle avait toujours laissé les paillettes à Sage et à Sara. Tout ça leur allait bien mieux et elle se complaisait sans peine dans son costume de fille stricte et classique. Elle glisse des boucles d’oreilles dorées aux lignes géométriques à ses lobes et replace ses boucles brunes autour de son visage avec soin. Et même si tout ça était bien réel, Carrie ne pouvait se défaire de l’idée qu’elle s’apprêtait à jouer le rôle de sa vie dans une comédie grotesque. Mais il fallait essayer. Il était encore trop tôt pour renoncer à la promesse qu’elle s’était faite à elle-même. A savoir tout essayer pour sauver son couple, aussi précaire que soit leur situation maintenant qu’un gigantesque vide avait envahi leur vie respective. La photographe abandonne la salle de bain pour s’exiler dans la cuisine et fumer une énième cigarette, constatant avec une grimace qu’elle arrivait déjà à la fin de son paquet. Une chance que sous le lit dormait encore deux cartouches pleines. Depuis le décès de Sara, sa consommation avait triplé après une rapide tentative d’arrêt. Mais ce n’était vraiment plus sa priorité à l’heure actuelle. Du bout des doigts, elle commande leur voiture en entendant les talons de Sage sur le parquet du salon. Cette soirée risquait d’être vraiment longue et désagréable si elles se contentaient de jouer une vulgaire comédie. Une boule se forme dans son ventre quand elle se dit que quelques semaines auparavant, elles n’avaient nullement besoin de se forcer pour être heureuses ensemble.

« La voiture est en bas. » La jeune femme peine à élever la voix pour se faire entendre, ne reconnaissant même pas son propre timbre un peu enroué et fatigué. Elle reste dans l’entrée un moment, nouant et dénouant son étole de soie hermès autour de son cou jusqu’à ce que l’égérie ne daigne sortir de sa cachette et qu’elles puissent rejoindre la rue ensemble. Dans la voiture, la photographe laisse échapper un discret soupir. Jusqu’au château où se donnait la très chic réception, il y avait bien vingt minutes de trajet et elle n’était pas sûre d’en supporter cinq dans un silence embarrassé. Son regard se perd un instant sur les jambes interminables de sa compagne et une nouvelle boule se forme en réalisant à quel point tout avait changé. Peut-être même qu’elle ne toucherait plus jamais sa peau et que la mort de Sara avait scellé pour toujours son avenir avec la belle brune même si elle se plaisait à croire que ce n’était pas le cas. « Tu es magnifique. » Sa voix se fait entendre, pas plus haute qu’un murmure alors qu’elle ose un regard en direction de son visage qu’elle savait exactement comment mettre en valeur. Rapidement, la photographe détourne le regard pour fixer la route qui défile. Elle préfère encore ne pas avoir à affronter un regard gêné ou un sourire poli. Sans même y penser, elle baisse la vitre de la berline, tirant une cigarette de sa pochette de soirée. « Excusez-moi mais vous ne pouvez pas fumer à l’intérieur du véhicule mademoiselle. » Le geste suspendu, le briquet à quelques millimètres du bâton de nicotine, elle lui adresse un regard interdit avant de se raviser et de ranger le tout à sa place. Voilà qui allait rendre le voyage d’autant plus pénible.