La jeune femme trébuche sur le parquet en bois. Son menton cogne contre le sol froid. Un bruit sourd qui brise le silence. Elle s’appuie sur ses coudes. Un cri sort de sa gorge, du plus profond de ses poumons. Un cri perçant, strident. Un juron le rejoint. Elle sent les larmes lui monter aux yeux. Elle se relève brutalement. Sa tête tourne. C’est pour ça qu’elle est tombée. Lee retourne dans son lit. La rousse tire la couverture jusqu’au dessus de sa tête. Son emprise se resserre sur la couverture.  Ses doigts rougissent. Elle jure encore. Finalement, lasse de se laisser tomber dans son propre désarroi, la rouquine sort de son lit. Elle ne travaille pas aujourd’hui. C’est le tour de Andy. Elle n’a aucune idée de ce qu’elle va faire. La petite rousse se prépare quand même et se décide à rejoindre son canapé. À peine a-t-elle posé ses fesses sur ce dernier que la sonnette retentit. La jeune femme va ouvrir la porte. Devant elle, Ben, Ben Bjornson. Son petit frère. Si Lauren est la voix de la raison, Ben est celui qui l’empêche d’aller trop loin, de glisser de l’autre côté. Parce qu’à force de flouter les lignes, à force de marcher sur la ligne, un pied derrière l’autre, Lee pourrait basculer. Basculer du  mauvais côté. Lee a déjà fait de la prison. Pas longtemps grâce à l’aide de son frère. Lee a élevé ses frères et sœurs comme s’ils étaient ses propres enfants. Leur donnant un foyer, de la nourriture et de l’affection. Une affection particulière et critiquable très assurément. Elle l’attire contre elle pour le serrer dans ses bras. Ce grand brun au large sourire et aux yeux rieurs qui lui semble toujours trop maigre ou trop fatigué. Son instinct maternel s’éveille toujours à la vision de ses fossettes trop familières. Elle le revoit des années auparavant. « Ne reste pas sur le palier, entre. » , lui intime la demoiselle en le tirant vers l’intérieur. Elle referme la porte derrière lui. Un sourire se dessine bientôt sur ses lèvres. Le voir lui remonte le moral. Mais ça lui rappelle aussi qu’elle a quelque chose de désagréable à lui avouer. La demoiselle se déplace dans le séjour qui fait office de salon et de cuisine. C’est près de la porte puis de toute façon son appartement n’est pas si grand que ça.  Elle s’installe près du plan de travail pour mettre de l’eau à bouillir. « Tu veux boire quelque chose ? » , l’interroge-t-elle en se retournant. Son regard s’arrête sur la boîte posé sur la table qui les sépare. Une boite orange qui contient son traitement. Comment a-t-elle pu la laisser trainer ici ? Pétrifiée, la jeune femme a l’impression que le monde s’arrête de tourner. Son cœur s’affole. Ses mains sont moites. Elle retient sa respiration un instant. Peut-être que Ben ne l’a pas vu. Peut-être qu'il n'a pas posé son regard sur l'objet qui trahirait son secret. Il lui faut agir vite. La rouquine se dépêche de lancer : « Tu as vu Lauren ces derniers temps ? Et l'autre est toujours aussi coincé ? » L'autre est l'ainé des Bjornson. Celui qui ne cesse jamais de lui rappeler ses faux pas.

« Bah je veux bien un café si tu as ! Tu sais bien que moi et le café c'est une grande histoire ! », répondit son cadet. La jeune femme mis en marche la bouilloire puis démarra également la machine à café pour son frère. Elle sortit deux tasses. Ce ne fut qu’après que la demoiselle remarquait un détail qui pourrait trahir son secret. Un détail qui pourrait tout changer. Cette boite présente sur la table de la salle à manger. Elle s’empressait de parler. Lee n’était habituellement pas très bavarde. Il allait le remarquer se disait-elle trop tard. « Non pas encore, j'avais prévu d'aller voir Lauren demain, je n'ai pas encore eu le temps ! Et l'autre comme tu dis, pas de nouvelle ! Mais si tu veux mon avis il est toujours aussi coincé », répondit le brun. Elle lui adressait un sourire. Ça l’amusait de voir que son Ben n’était aussi accroché à son grand frère que Lauren. Lauren lui vouait presque un culte. Ils étaient très proches. Lauren et Ben aussi pourtant. Il n’y avait que Lee finalement qui avait sûrement sans le vouloir influencer son petit frère. Du moins, c’était son analyse personnelle. « Il n’est pas si terrible j’imagine qu’il doit avoir des bons côtés… Difficile à percevoir. » , commentait-elle en se sentant légèrement coupable. Il semblait hésitant mais finit par lâcher : « Tu es sure que ca va Lee ? » La rouquine passait sa main derrière sa nuque nerveusement. Elle avait toujours eut du mal à porter un masque avec son frère. Il l’avait vu à son plus bas comme à son plus haut. Il lui était difficile de prétendre. Prétendre… ou plutôt de lui mentir. Lee détestait ce mot. Il lui semblait bien trop complexe et nuancé. La rousse se retournait pour remplir les deux tasses. Une de thé et l’autre de café. La belle s’approchait les deux tasses dans les mains. Elle les déposait sur la table, glissant rapidement le flacon dans sa poche. Il ne semblait pas l’avoir remarqué. Il n’avait pas fait attention à ce détail, lui donnant un répit. « Bois donc ton café, Ben. Parle moi un peu de ta vie.  Ça me fera un peu moins sonné comme une égoïste pour une fois. » , répondit-elle finalement. Elle avait volontairement ignoré sa question. Éviter le sujet épineux encore un peu ne lui semblait pas une si mauvaise idée. La petite rousse tirait une chaise pour s’asseoir. « Tu diras à Lauren que je n’ai pas oublié qu’elle m’a posé un lapin lors de la soirée de noël. C’est pour elle que j’y suis allée et elle n’est même pas venue cette vilaine. Du coup, je me suis retrouvée avec Noam. » , continuait-elle sur le sujet précédent. Elle soupirait démontrant son agacement. Elle aurait très bien pu le lui dire elle-même. Mais pour cela, il aurait fallu que Lee la croise. Il n'était pourtant pas dupe. Il n'allait sûrement pas abandonné aussi facilement mais cela ne l'empêchait pas d'essayer.

Plus Lee parlait plus quelque chose n’allait pas. Pourtant, Lee savait être maîtresse d’elle-même. Et là voilà qui laissait son langage corporel la trahir. Peut-être dans le fond le souhaitait-elle. S’il pouvait lire entre les lignes, déchiffrer les signes sans avoir besoin de son explication ce serait tellement plus facile. Seulement son secret n’était un des plus faciles à découvrir et encore moins à dévoiler. La vérité était que Lee n’avait aucune idée de comment le lui annoncer. Il avait beau avoir 25 ans, elle voyait toujours le petit garçon qui n’avait pas compris pourquoi papa et maman étaient partis. Il était ce petit garçon qui s’était accroché à ses jambes comme un boulet quand elle l’avait emmené pour la première fois à l’école. Il sourit à la remarque de sa sœur au sujet de leur ainé. Lee apportait les boissons. Ça lui rappelait un peu son temps au bar. Avec Ben, c’était quand même pas pareil. Il soufflait sur sa tasse. Lee continuait de parler, de meubler le silence comme pour l’empêcher de penser. En effet, c’était ce qu’elle cherchait à faire. Le distraire pour qu’il ignore le problème sous ses yeux. Il finirait par comprendre pourtant. C’était inévitable. Le mauvais moment finirait par venir. Lee ne faisait que gagner du temps. Reculer pour mieux sauter, sa spécialité. « Et bien, écoute pour moi ça va, la routine, boulot, dodo et je suis toujours dans la mxrde avec cette histoire entre June et moi, je sais pas trop quoi faire ! », commentait l’agent de police. Lee grimacait. Cette histoire était fort saugrenue. Ça l’amusait d’un côté. Son petit frère qui faisait toujours les choses dans les règles, laissait son cœur dicter sa conduite. Il enfreignait des règles du brocode. Ce n’était pas un Bjornson pour rien. Seulement, contrairement à Lee, il se sentait coupable de le faire. C'était rarement le cas de Lee. Il lui était impossible de se souvenir de la dernière fois qu'elle s'était sentie coupable. « Ne te prend pas la tête. Si tu veux être avec elle, soit avec elle. Le reste on s’en fout. La vie est trop courte pour être autre chose que heureux. Tu peux bien t’autoriser un écart de conduite pour une fois. »,  expliquait la rousse. Elle plaçait ses mains sur sa tasse. Lee n’arrivait pas à s’empêcher de penser à Aaron, son défunt époux. Toutes les histoires d’amour la ramenaient à la plus grande qu’elle ait vécu.  C’était plus fort que le reste. Il était parti trop tôt. Et depuis, elle s’était jurée de ne jamais laisser les autres passer à côté de quelque chose qui pouvait être bien. Certes, aucune relation n’était parfaite. Mais certaines méritaient le détour. « Haa cette Lauren je te jure, oui je lui transmettrai le message. Tu ne l'as pas revue depuis noël toi ? , ça devait être super avec Noam dit donc, vous avez dû beaucoup discuter, bavard comme il est !», déclarait le jeune Bjornson. Lee ne put s’empêcher de lâcher un éclat de rire. Ils avaient en effet discuté mais depuis les choses s’étaient dégradées. Noël lui semblait bien lointain à présent. Son regard absent se posait sur sa tasse. « C’est Noam quoi. » , dit-elle simplement. Elle n’avait pas vraiment envie de parler de lui pour tout dire. Il s’était invité dans sa conversation. Il était une grande partie de sa vie. Un peu trop peut-être. Il était sûrement temps de cesser de lui accorder autant d’importance. Quelque peu désarçonnée, la demoiselle venait à court de sujets de discussion pour éviter l’éléphant dans la pièce. « On fait que se disputer dernièrement. Enfin, je préférerais parler d’autre chose. Pourquoi est-ce que June reste avec ton ami?  » Le flacon tombait de sa poche. Il s'échouait sur le sol entre eux. Une vague de panique la saisissait. Serait-elle assez rapide pour le ramasser en premier?

« Tu peux me dire ce que c'est ça ? » , lâchait Ben. Il semblait soucieux. Il avait pris le temps de lire le flacon. Et soudain, la demoiselle sentait son monde tourner. Son monde chavirait sous ses yeux. Depuis que leurs parents étaient partis Lee s’était donnée un rôle précis : celui de toujours protéger, défendre et veiller sur ses frères et sœurs. Elle ne laisserait jamais aucun mal les éteindre. Elle s’était promise de ne jamais les blesser. Jamais intentionnellement. Ils étaient essentiels. Ils méritaient le bonheur. Il lui semblait qu’avouer la vérité allait briser cette promesse. Ça allait le blesser. Ça allait lui faire de la peine. Il allait réaliser qu’il était possible que Lee les abandonne elle comme leurs parents.  Involontairement ou pas le résultat restait le même. Ils allaient être de nouveaux seuls. Certes, ils n’étaient plus des enfants. Ben n’était plus le petit garçon qu’elle avait connu. Il avait grandi. Il avait changé. Cependant cela ne rendait pas les choses plus simples. « Tu sais que tu peux tout me dire Lee. Je suis là et je serais toujours là ! », poursuivait-il. Lee n’était pas sentimentale. Elle était parfois trop abrupte. Avec Ben, elle faisait de son mieux pour bien choisir ses mots. La rousse pris quelques instants pour chercher un autre chemin. Il n’y en avait pas d’autre. La rouquine était contrainte d’avouer son secret. D’avouer sa plus grande faiblesse. D’avouer encore une fois à quelqu’un qu’elle n’était pas si invincible qu’elle le criait. « Je suis désolée, Ben. J’aimerais te dire que c’est juste pour mon mal au crâne mais ce n’est pas le cas. C’est un des nombreux composants des cocktails que je dois avaler tous les jours depuis une semaine. Je… J’ai un… cancer. Fuck, c’est la première fois que je dis ce sale mot à voix haute. » Sa voix tremblait. Ses mains tremblaient. Cette vulnérabilité qui suscitait d’un isolement. Cette intériorisation avait ses limites. Cela la rongeait intérieurement. Ce n'était pourtant pas une petite chose fragile qu'il fallait protéger de la dureté du monde extérieur. Le monde extérieur, elle le voyait tous les jours et lui déchirait le cœur mais pourtant, Lee tenait toujours debout. La belle pris une gorgée de son thé avant de conclure : « Quel trou'd'cul ce mot là. » La demoiselle déposait son regard sur le fond de sa tasse de thé.