Mes séances chez le kiné me détruisent à petits feux. Non pas à cause de la douleur, puisque j’apprends doucement à la supporter et qu’elle est perpétuellement là, mais je vois bien dans ses yeux qu’elle espère que les choses finiront par s’arranger, et cela ne fonctionne pas comme ça. J’aimerais que les gens comprennent que je suis une cause perdue, que je n’ai pas besoin de claquer mon fric dans des dépenses aussi inutiles que ça. Parce que c’est bel et bien de ça qu’il est question, bien que je ne sache absolument pas comment arranger la situation. J’ai fait de mon mieux, pour arrêter de pleurer chaque matin, pour arrêter de craquer. J’ai beau critiquer le psychologue, je sais qu’il me fait du bien. Je sais que cela peut sembler fou mais que tout va bien mieux. Je le sais, et je ne le sais que trop bien. Est-ce que cela veut dire que c’est facile pour moi ? Non, ça ne l’est jamais, et j’espère que les gens le savent. Mais ouais, je ne parviens tout simplement pas à comprendre en quoi est-ce que la kiné me sert. La douleur ne part pas je ne me sens même pas soulagé à cette idée. Rien ne va et ça, je suppose que c’est déjà bien assez compliqué comme ça. Je refuse d’avoir à y penser plus longuement, et oui, c’est la seule chose qui puisse vraiment compter. J’espère que les gens le savent. M’enfin bon, les gens imaginent aussi que je n’y mets pas de la bonne volonté et ça, cela n’aide pas ma cause. C’est vrai, en même temps, je n’ai pas envie de penser à tout ça, je n’ai pas envie de me faire du souci pour quelque chose qui n’en vaut absolument pas la peine. Et cela n’a rien de facile, il me faut du temps, il m’en faut beaucoup et cela ne suffit juste pas. J’étouffe, au milieu de tout ça, et j’ai beau cherché la solution pour que cela s’arrange, je sais que cela n’est pas gagné. Disons que je prends mon temps pour améliorer les choses, et je prends vraiment bien trop de temps pour cela. Je suis difficile, pour mes proches, chiant et je suis parfaitement con aussi. Je fais du mal, autour de moi mais le monde me le rend bien. Je n’étais pas comme ça avant, loin de là. J’ai changé, mais la guerre est capable de changer n’importe qui. J’espère, de cette manière, prouver aux gens que je n’y peux pas grand-chose, mais je ne peux pas continuellement me plaindre, ce n’est pas comme cela que cela fonctionne. Au contraire, d’ailleurs, mais disons-le, je continue d’imaginer que la situation finira par s’arranger d’elle-même. Comme si un matin, j’allais pouvoir me lever en me disant que je suis heureux, que tout va bien, et que je m’en fous, de ce fauteuil. Mais c’est loin d’être gagné.

Lorsque mon regard se pose sur elle, un peu plus loin, mon expression se fige, se glace. Je me mets à la fusiller des yeux, je me mets à me demander si elle le fait exprès. Je sais que souvent, elle s’est mise à prétendre qu’elle aimerait bien me voir, hors de sa salle d’exercice. Comme si je pouvais avoir envie de ce genre de truc. Impossible, cela ne m’intéresse même pas, en réalité. Et cela me gonfle, même. Sa simple vu me met les nerfs, je ne l’apprécie pas et pourtant, en même temps, là, vu qu’elle ne me parle pas et qu’elle ne m’a même pas vu pour me fixer de ses grands yeux remplis de pitié, voilà que je me mets à la trouver jolie et attirante. Elle l’est, c’est vrai, mais est-ce vraiment une raison pour moi de me rapprocher d’elle ? Non, au contraire même, mais je n’irais pas prétendre que cela me touche pas pour autant. Je trouve ça bizarre et en même temps, je ne suis pas très à l’aise dans mes baskets. L’idée de l’aborder me traverse et déjà, je passe une main dans mes cheveux. J’ai l’air d’un coup et je suis content qu’elle ne me voit pas agir de cette manière. Je vais vers elle, mes bras me font souffrir, je n’ai pas encore l’habitude des efforts avec mon fauteuil. Le temps passe bien sûr, mais il ne passe pas assez vite, encore moins depuis que je roule plutôt que je ne marche. Et de ce fait, cela demande plus d’effort. Encore maintenant, je me demande pourquoi je me dirige vers elle, c’est ridicule et il serait sans doute préférable pour moi de prendre le large, mais je ne le fais pas, et maintenant, je suis à son niveau, elle ne peut pas me rater. Est-ce que cela veut dire que je suis prête à bien lui parler ? Absolument pas, non. « Je vais presque finir par croire que tu me suis… Je te manquais alors tu as suivi les marques de mes roues ? ». Je soupire lourdement. L’air d’un con ? Peut-être, mais je n’irais certainement pas me mettre à prétendre le contraire. Je m’en fous. Je suis un con, et je ne le vis que trop bien.
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