Parfois, je regrettais de sortir trop tard. Un client m’avait appelé à huit heures ce matin. J’étais rentré à sept. M’étais probablement endormi dix minutes après avoir pris une douche, et mon téléphone avait sonné. Je n’avais pas le choix, j’obéissais à la cruelle loi de l’offre et de la demande. Alors je m’étais changé en rageant, je n’avais pas pris le temps de me raser ou de me coiffer préférant mettre une casquette sur le sommet de mon crâne, un jeans délavé, un t-shirt et une vieille veste en jeans. Il était trop tôt pour un lendemain de soirée et le client avait reçu un tas d’insultes mentales.
C’était avant que je ne le rencontre et qu’il n’écoule les trois quarts de ma marchandise. Finalement, ne pas dormir avait valu la peine. Pour une fois que je ne vendais pas presque au détail. On me débarrassait très vite de ce que je venais de récupérer et c’était tant mieux. J’encaissais mon salaire avec un air d’homme d’affaires des quartiers mal famés, oui, un homme d’affaire digne de ce nom serait rasé, ne porterait ni casquette ni veste en jeans. Enfin bref. Pour fêter cela, je décidais de passer boire un café au Starbuck du coin. Me convainquant sur le chemin que je ne faisais pas ça pour croiser Elizabeth. Voilà une semaine que je ne l’avais pas croisée. Je n’avais pas osé lui envoyer un message pour prendre de ses nouvelles. Car après tout, nous n’avions jamais décidé que nous étions amis. Nous étions… je ne savais même pas ce qu’on était. Et comme aucun de nous n’avait le talent pour définir notre relation cela restait un peu compliqué à définir, en termes de limites également. Alors je passais l’air de rien, la saluait, prenait de rapides nouvelles l’air de rien, m’assurant qu’elle allait bien qu’elle était toujours souriante et de bonne humeur. Puis je m’en étais allé. Je me posais parfois des questions au sujet de mon intérêt croissant pour la blonde, mais préférait le ranger dans un coin de mon esprit. Inutile de m’encombrer avec ça. C’est juste qu’elle n’est pas pénible alors je pouvais m’en faire pour elle. Oui c’est ça, ça devait être ça.

Je terminais de siroter mon café tranquillement et me trouvait en face de la rue où se trouvaient tous les magasins de musique. Des mélodies agréables – comme toujours dans cet endroit – s’échappaient des différentes échoppes et je ne pus m’empêcher d’entrer. Poussé par la curiosité mais aussi et surtout par mon amour de la musique je me laissais tenter à écouter des mélodies différentes du style que j’écoutais le plus souvent. Et je rendais compte que mes goûts n’étaient pas si obtus que j’aurais pu le penser. Chaque fois, je m’étonnais, et me redécouvrait dans les magasins de musiques. Un jour, un vendeur m’avait dit que notre personnalité est reflétée par l’entièreté des musiques que l’on aime sans comprendre pourquoi, et définitivement pas celles que l’on aime par conformisme. Je n’avais jamais vraiment compris avant de hocher la tête en écoutant de la pop plutôt féminine et légère. Mais je devais me l’avouer, j’aimais plutôt. Je regardais les références de la chanteuse et me dirigeait alors vers le rayon où se trouvaient les albums portant son nom. J’en regardais plusieurs et me rendit compte qu’il y en avait un plus récent. Je posais ma main dessus en même temps que quelqu’un d’autre. Je reconnus immédiatement une main féminine et posait mon regard sur la jeune femme en question.

C’était une grande brune, au teint de porcelaine et aux yeux d’un bleu plutôt saisissant. J’ignorais un instant quel comportement adopter. Et ce pour plusieurs raisons. Où je tentais de me battre avec elle pour le dernier album, avouant ainsi que j’aimais ce style de chanson qui détonnait définitivement avec l’allure que je proposais ce matin. Je faisais petite racaille des bas-fonds, et ce n’était pas si loin de ce que j’étais au fond. Ou bien je la laissais faisant mine de m’être trompé en faisant le macho de façon exagérée. Ou alors j’avouais presque bien aimer et la laissait. Ou enfin, je tentais de le négocier. Constatant qu’elle avait l’air plus surprise qu’hostile, je finis par me laisser tenter par les négociations. « On peut parier que c’est le dernier qu’ils ont en stock ! Vous y tenez vraiment à cet album ? » je lui demandais souriant en coin, misant sur ma décontraction pour faire en sorte d’avoir une accroche avec elle.



   

« Euh... non pas vraiment, je voulais simplement jeter un coup d'oeil à l'album. Prenez-le, il me fait plaisir de vous le donner. Sinon, vous connaissez bien cette artiste? J'ai entendu une de ses chansons récemment à la radio et j'ai bien aimé.» Je ne peux m'empêcher de sourire en constatant que c'est presque trop facile. Je la vois rougir, et je me prends de sympathie pour elle et sans doute pour le côté fragile qu'elle laisse s'échapper d'elle sans sembler en avoir honte.

On m'a dit un jour, que le pire ce n'était pas d'être vulnérable. C'était de croire qu'on ne l'était pas au contraire, ou de penser qu'en faisant la forte tête ça nous rendait invulnérable. Avoir conscience de notre vulnérabilité, de notre humanité nous rendrait plus fort. Je doute avoir eu l'enfance nécessaire à ce genre d'auto-achèvement personnel. Bien trop trainé d'endroits en endroits, bien trop sans famille, sans étayage pour pouvoir avoir un bassement psychique assez stable pour avoir foi en ces conneries. Chez moi, cela reste basique : Ne montre pas tes faiblesses, ne les admets jamais où quelqu'un tentera de s'en servir contre toi. Néanmoins, cela ne m'empêche pas de respecter la forme de courage qu'il y a chez certains à ne pas masquer ce qu'ils sont. A être sincère dans la personne qu'ils montrent au monde sans parfois même sans rendre compte. Je hausse les épaules me décidant à lui répondre. « Vous... C'est gentil de votre part. Je viens juste d'entendre une de ces chansons, c'est par curiosité que je voulais me laisser tenter. Et parce que comme vous j'ai bien aimé. Mais c'est un secret hein ! » je met mon doigt devant ma bouche pour appuyer ce que je dis avant de lui sourire franchement et de regarder l'album un moment.

« Je dois avouer que cette artiste à une énergie qui m'impressionne, c'est vivant et coloré. Étrange de dire ça d'une chanson, sans doute plus étrange venant d'un mec... » je fais la moue un instant en constatant cela. Parfois, l'art ça me fait faire ou dire des choses comme ça. Sincères, brutes, des pensées non réfléchies. Je ne le contrôle pas. Que se soit des écrits, de la musique, de la peinture, des photographies, j'aime l'art et je pense que je m'exprime de façon non-filtrée car c'est requis dans ces cas là. Les artistes méritent un avis fondé mais sincère, non codifié par la société. On ne doit pas aimer quelque chose pour se conformer. On ne doit pas discréditer un chanteur parce que c'est un truc pour fille, ou pour adolescentes mal dans leurs peau. Le truc, c'est que le son de la chanson te parle, te fasse danser, sourire, chanter bêtement, le truc dans l'art c'est qu'il fasse écho à ce que tu es au fond et dont parfois tu ignores totalement la présence. Il faut l'accepter, ne pas en avoir honte. Même si c'est plus facile à dire qu'à faire la majeure partie du temps hélas. Et je parle en connaissance de cause.

   

« Côté musical, j'adore tout ce qui est coloré et vivant ces temps-ci. Justement ces temps-ci, je traverse une période assez difficile et la musique dans ce style arrive à me faire avancer au travers de ma journée. Pour être honnête avec vous, je ne trouve ça aucunement étrange que vous aimiez cette artiste. Les choix musicaux sont au goût de chacun peu importe le sexe, c'est ce que je me dis. Sinon, j'ai totalement oublier la politesse, je m'appelle Abigaelle Gagnon et vous?  »

Abigaelle se confie à propos de ses goûts avec aussi peu de pudeur que moi, et je dois avouer que cela me surprends d'une façon plus positive que je n'aurais pu l'imaginer. En la voyant, je ne m'étonne pas qu'elle parle de couleur pour contraster avec ce qu'elle peut ressentir de négatif. Il en va de même pour moi, je trouve que la musique est magique pour contre-balancer les émotions. Simple et efficace. Un truc plutôt plein d'énergie quand j'ai une baisse de morale. Quelque chose de calme lorsque je suis énervé fonctionne toujours, et inversement. Il m'arrive rarement d'en parler avec le peu de personnes qui m'est proche, et pourtant cela parait tellement évident d'élaborer avec la jeune femme en face de moi. Je souris lorsqu'elle se présente.

« Enchanté Abigaelle, moi c'est Nathaniel mais tout le monde m'appelle Nath. Puis, pour notre manque de politesse c'est juste que la conversation s'est imposée à nous alors on peut se dire que tout est pardonné. Quant à la musique, j'avoue m'en servir moi aussi. C'est bien souvent un moyen de s'aider seul à rendre la journée un peu plus supportable. »

Je lui souris, honnête et tends l'album vers elle m'assurant qu'elle le récupère avant de mettre mes mains dans les poches. Elle m'a l'air d'être trop altruiste pour accepter sans rien dire ma résiliation à propos d'un truc qu'elle sait qui me plais alors je sais absolument quoi dire pour tenter de la convaincre avant qu'elle ne s'indigne ou autre chose.

« Vous en avez sûrement plus besoin que moi ces temps-ci. Si vous voulez, on peut faire quelque chose d'un peu inconventionnel. On le paie tous les deux, et on fait comme une garde alternée. Quand l'un de nous a un coup de mou, il a l'album pour l'aider à lui remonter le moral. Ça me semble un compromis acceptable, vous ne pensez pas Abigaelle ? »

Je lui fais ma proposition avec un sérieux qui me surprends moi-même. A vrai dire, mon comportement depuis qu'on a mis la main sur l'album me surprends. mais cette jeune femme en face de moi à l'air différente. Elle me rappelle Maria, une jeune fille qui était à l'orphelinat avec moi. Adorable, fragile mais forte supportant bien plus que nous autres en gardant le sourire, toujours élégante et gracieuse. Sans doute en l'honneur de ce souvenir j'apprécie Abigaelle sans comprendre pourquoi alors que je la connais à peine. Et je me dis que si je peux aider quelqu'un à être moins mal avec un compromis un peu étrange cela ne coûte rien, et se serait faire quelque chose d'honorable pour une fois.
   

Surprenantes. C'est probablement le qualificatif le plus adapté afin de qualifier la jeune femme face à moi. Aussi rougissante qu'intéressante elle finit par accepter mon marché assez étrange. Finalement, je me dis qu'on parviendra probablement à s'entendre et cela me fait plaisir. N'ayant pas pour habitude de me lier facilement aux autres, l'entente cordiale qui s'est immédiatement installée entre nous est plus que plaisante je dois l'avouer. C'est simple et sans ambiguïté, ce qui - je dois l'avouer - relève de l'inédit chez moi. L'habitude de flirter avec celles qui deviennent des connaissances ou amies m'est tenace. Néanmoins, je sais que ce n'est pas de rigueur avec Abi'. Elle semble sensible et je ne pense pas qu'elle soit le genre à sympathiser d'une telle façon. Bizarrement, cette façon de faire connaissance avec elle me plais, et je décide de m'en contenter et de poursuivre notre discussion, et notre prise de connaissance de l'un et de l'autre puisque c'est plaisant. Sans plus me poser de questions que ça, parce que, franchement, à quoi bon ?

« Achetons ce cd alors et allons nous promener. Je vis ici depuis des années maintenant, je peux vous montrez des endroits plutôt sympa. Même si vous savez déjà où acheter de la bonne musique, évidemment. Il y a pas mal de choses à voir, bien sûr ce n'est pas rempli de monuments historiques dans le coin, mais je suis certain que je peux trouver des endroits qui vous plairons. »  Je lui réponds plutôt sûr de moi. En effet, à force de vendre des objets dans tous les coins de la ville, ma connaissance de cette dernière est presque parfaite. Le nom des rues, les quartiers populaires et chics, les magasins, les bonnes affaires. Je connais pas mal les différents genres d'endroits pour les différentes personnes, et c'est plutôt intéressant quand il s'agit de vendre. Je ne me doutais pas cependant que ça me servirait pour être guide d'une presque inconnue. Mais pourquoi pas, utiliser mes ressources à bon escient pour une fois cela ne peut pas être mal, n'est-ce pas ?

Nous arrivons auprès des caisses et je sors de mon portefeuille la moitié de la somme voulue que je tends à la co-propriétaire de l'album qui m'a tapé à l'oeil aujourd'hui. La caissière nous souris en constatant notre achat un peu particulier, et je lui rends rapidement son sourire avant d'entrainer ma - probable - future amie vers l'extérieur. L'air est frais et sec, plutôt agréable pour la saison, et je me tourne vers Abi rapidement.« A présent que nous sommes copropriétaires allons nous promener. Il y a une grande place pas loin, où des artistes exposent leur travail, je suis sûr que ça vous plaira. » j'enchaine en me mettant en route vers la dite place.
   

Tranquillement nous traversons la place. Et je m'étonne encore de ma nouvelle "amitié" avec Abigaelle. Ce n'est pas mon genre, définitivement. Pensant à cela, je manque de rire seul. C'est exactement le genre de chose que dit une fille facile quand elle couche avec vous. Je suis une fille facile. Merde. Mais ce n'est vraiment pas mon genre habituellement. Sauf quand ça passe. Habituellement ce n'est pas avec les filles comme Abigaelle que ça passe immédiatement. Mais avec elle ça le fait, ça ne s'explique pas. Il y a des amitiés de ce genre qui se lient. Vous êtes radicalement différent de visuel. Mais pourtant deux êtres humains qui ont les mêmes problèmes à peu de choses près comme souvent. D'ailleurs, je me demande pourquoi elle est triste. Elle a laissé entendre qu'elle n'était pas au top de sa forme tout à l'heure. J'espère que notre petite balade en ville lui remontera un peu le moral. Ou lui prouvera au moins qu'il reste de bonnes choses dans l'humanité, et qu'elle n'est pas totalement esseulée en ville. Sachant ce que c'est que d'être seul et sans famille je ne peux que compatir. Même si je n'ai jamais rien connu d'autre, je sais qu'on s'ennuie tout seul hélas. Alors j'imagine que ce n'est pas facile de débarquer dans un endroit sans guide pour nous aider. Sa question sur l'art me ferait presque me renfermer, revenir en quelques sortes à mon état basal. Néanmoins, je la regarde alors qu'elle est totalement intriguée et sincèrement intéressée alors je réponds sans mentir.

« J'aime énormément lire. La lecture me détends beaucoup. L'écriture aussi, ça me plais bien. La vache, je pense que c'est la première fois que je le dis à voix haute. » je m'étonne à être si sincère, tout en étant sobre et parfaitement libre de mentir ou de me taire. Mais j'ai étrangement confiance en la jeune femme qui est avec moi. Cela pourrait m'effrayer d'ordinaire, mais sa façon d'être m'apaise d'une façon qui m'échappe. Tant mieux, cela me donne l'occasion d'être différent, et c'est plutôt agréable de ne pas trop être sur ses gardes constamment. « Et vous, quelle sorte d'art ? » demandais-je curieux.
   

Je ne peux réprimer un sourire lorsque je me rends compte qu'elle se met à me tutoyer malgré elle. J'allais lui proposer de passer à un échange moins formel. Après plus de cinq minutes de conversation vouvoyer quelqu'un devient extrêmement compliqué et lourd je trouve. D'autant plus qu'on est pas si vieux que ça l'un et l'autre, et que l'on partage un bien. Certes, un album de musique, mais un bien tout de même. Alors je ne dis rien et choisis de m'adapter à ce mode de communication bien plus en phase avec le jeune que je suis. Ce qu'elle dit sur la lecture trouve un écho infini en moi. C'est fou, mais je me sens en phase avec ce qu'elle raconte. Et je me dis que c'est pas plus mal de lui avoir révélé ce détail. Cela me fait penser au dernier livre que j'ai commencé. L'histoire est prenante et bien souvent en rentrant de soirée cela me tient éveillé tout en me faisant oublier qui je suis et où je suis. Ce pouvoir incroyable détenu par les livres. Ce pouvoir incroyable qu'est l'imagination. Une partie de notre cerveau est responsable de tout ça, le fornix. Centre de l'imaginaire, de la créativité. Probablement la chose la plus intéressante chez moi dans le fond, la plus fonctionnelle. « Je suis assez d'accord avec ce que tu dis. Bien souvent, lire nous aide à exorciser nos démons d'une façon pacifiste. »

Sa réponse à ma question sur son type d'art favoris me fais sourire. La valeur sentimentale des choses. A défaut d'avoir de nombreux sentiments pour les gens, je m'attache souvent aux objets. Mes livres. Mon ordinateur, mon iPod, et mon iPhone, mais aussi et surtout ma console ! Oui, comme tout jeune qui se respecte les appareils hightech ont une grande valeur pour moi. « Tu n'as pas besoin de t'excuser, c'est parfois plus facile de se confier à des personnes que l'on ne connait pas beaucoup. Puis, on a déjà un bien en commun je te ferais signaler. Alors tu peux me parler de choses personnelles si ça te chante. » je souris m'étonnant moi même d'être aussi cool et tranquille. Mais c'est peut-être l'effet Abi' qui sait ? En tous cas, je m'en accommode parfaitement bien et je n'ai pas envie de changer de comportement. « Si les tableaux c'est ton trucs, il y a un gars qui fait de superbes reproductions au bout de la rue. Je pense que tu aimeras ! » je m'exclame en me dirigeant vers le stand en sa compagnie.