if you want to live your dream, catch it
carrie & liz

Le son de ses talons résonne sur les murs du grand studio vide. Au centre de la pièce, un fond noir est déroulé, tombant sur le sol. Deux parapluies sont ouverts de part et d’autre. Le trépied de son appareil posé non loin, en face d’un tabouret désert. Une boule se forme dans le ventre de la jeune femme. Elle se sentait égoïste de fuir son appartement dès que possible, en prétextant un shooting ou une réunion avec un magazine quand elle ne faisait rien d’autre que de se cacher dans une grande pièce vide. A l’arrière du matériel de photo trône un gigantesque bureau blanc et son mac tout aussi disproportionné mais sur lequel elle adorait travailler de longues heures, jusqu’à ce que ses yeux la brûlent. La jeune femme dépose son sac YSL à proximité avant d’allumer l’ordinateur auquel elle n’avait pas touché depuis longtemps. La masse de travail qu’elle avait accumulé depuis son absence suite au décès commençait sérieusement à lui donner le tournis. Entre les retouches et les préparatifs des directions artistiques des prochains shooting, il y avait de quoi se tirer une balle prématurément. Aussi avait-elle envoyé un sms à sa stagiaire pour un coup de main nécessaire. Quitte à se planquer ici dans son studio, autant rentabiliser le temps au maximum.

Assise dans son large fauteuil noir à roulette, elle allume une cigarette, se fichant bien de l’odeur de tabac qui pouvait s’incruster dans les affaires traînant ici et là. Après tout, l’endroit lui appartenait, elle pouvait encore en choisir les règles. Sirotant son cappuccino, elle glisse sa clé usb dans la machine, choisissant quelques photos qu’elle ouvre dans le fameux logiciel de retouches d’image. Mais tout ça lui semble d’un ennui sans nom. Encore une autre blonde anorexique qui tente de prendre une moue de femme fatale sans vraiment y parvenir. Tout ce qu’elle lui inspire est un haut-le-cœur de son estomac vide d’un nouveau déjeuner raté volontairement. « Putain. » Elle jure entre ses dents en constatant amèrement à quel point ses premiers essais depuis l’enterrement lui semblaient creux et vides de sens. Alors sa souris glisse très vite vers ce dossier qu’elle évite d’ouvrir en règle générale quand elle n’est pas chez elle et sûre et certaine d’être seule. Le visage de Sara envahit aussitôt l’écran. Elle et son regard de braise, la façon qu’elle avait de capter toute l’attention autour d’elle, même à travers un objectif. Se laissant aller contre le dossier de son fauteuil, la jeune femme expire la fumée de sa cigarette, balançant la cendre à même le sol. Tant pis. Elle ne voulait pas aussi rapidement se séparer des yeux sombres de son ex-compagne. Un nouveau pincement au cœur la prend alors qu’elle tire à nouveau sur le bâton de nicotine. Cette douleur ne s’arrêterait donc jamais.

Le bruit de la porte du studio se refermant la fait sursauter et elle manque d’échapper son gobelet Starbucks en se redressant. « Liz, c’est vous ? » Pour peu, elle aurait oublié qu’elle avait demandé à la jeune stagiaire de la rejoindre cet après-midi pour l’aider à venir à bout de ce travail colossal. Se levant, elle adresse un sourire poli à petite blonde avant de lui tendre une main ouverte. Carrie n’avait jamais été du genre à transformer ses relations de travail en relation amicale, si ce n’est avec des collègues qu’elle côtoyait depuis ses tout débuts. « Ne perdons pas trop de temps voulez-vous ? On a vraiment beaucoup de travail. » Retournant vers son mac, elle en aurait presque oublié la photo en noir et blanc de Sara, son sourire provocateur collé sur le visage, affiché en grand sur l’écran. Elle ferme rapidement la page avant de rouvrir Photoshop sur ce shooting qui la laissait vide de toute émotion. « Ce shooting est une catastrophe. On en tirera à peine des essais passables à présenter à la rédaction. » Un soupir lui échappe alors qu’elle allume une nouvelle cigarette après avoir écrasé la fin de la première sous la semelle de ses talons aiguille. « L’odeur de la cigarette ne vous dérange pas j’espère. » Carrie était loin d’être un monstre même si elle n’était pas des plus chaleureuses en ce moment. « Vous en pensez quoi ? On court droit à la catastrophe avec un travail aussi médiocre non ? Si seulement on ne nous envoyait pas que des mannequins insipides. » La jeune femme avait toujours été trop sévère avec son propre travail même si elle pensait sincèrement ce qu’elle disait sur la plupart des modèles qu’on lui imposait. Il était sûrement un peu léger de demander son avis à une jeune fille aussi peu expérimentée dans le milieu mais le regard de Liz était frais et neuf, ça ne pouvait pas faire de mal pour améliorer la piètre qualité de ses clichés actuels.