viktoria & adel

Adel s'étira, assis sur son canapé, mais il s'arrêta bien vite quand ses mains heurtèrent les murs de chaque côté du sofa. Il les ramena contre lui et soupira. Il en avait marre de ce studio. Vraiment. Il était vraiment trop petit, trop petit pour lui. Certes, à l'armée il avait connu plus petit que ça encore, mais c'était différent. Il était en mission, il était en Afghanistan pour se battre. Pas pour se reposer, pas pour regarder la télé, pas pour se cuisiner des petits plats. Il n'était en revanche pas à Omaha pour faire la guerre et ce studio de vingt mètres carrés commençait sérieusement à l'agacer. Même quand il était étudiant, il vivait dans une surface plus grande. Bien sûr, il habitait à l'époque avec Joséphine, ce qui expliquait qu'ils puissent s'offrir un deux pièces, mais n'empêche qu'ils avaient la place de bouger, ils avaient une vraie cuisine. Ce studio, Adel était pourtant venu le visiter, lors d'une de ses rares excursions à Omaha, l'année passée. Il était venu une fois, il avait apprécié le fait qu'il soit meublé et neuf dans une résidence neuve avec place de parking et machine à laver, il avait vite fait regardé à l'intérieur pour s'assurer que tout semblait en ordre, mais il n'avait pas poussé davantage. En réalité, son canapé convertible n'était vraiment pas large, il n'y avait plus de place entre lui et le meuble télé une fois qu'il était déplié, il n'y avait plus de place du tout dans l'appartement, en fait. Un gros bar américain prenait la moitié de la surface habitable et il n'y avait aucun moyen de le relever quand il avait fini de manger. Il préférait ne même pas penser aux deux pauvres plaques de cuisson qui se touchaient presque, et qui l'empêchaient de faire toute préparation nécessitant deux poêles. Adel avait vraiment envie de partir de là, mais il lui faudrait pour cela faire le tour des agences, visiter des appartements, ce qui lui prendrait déjà beaucoup de temps, puis déménager une fois qu'il aurait trouvé son bonheur, ce qui lui en prendrait plus encore. Et du temps, Adel n'en avait pas vraiment. Depuis qu'il avait ouvert le bistro, il n'avait pas pris beaucoup de pause, voire pas du tout pour ainsi dire. Un jour par semaine, pour respirer, mais rien de plus. Aujourd'hui et depuis hier midi, c'était les premiers vrais congés qu'ils s'autorisaient. Et il comptait en profiter pour se reposer, se ressourcer, pas pour déménager. Et puis... et puis il y avait toujours cet appartement, celui que Joe et lui avaient partagé pendant presque quatre ans. Cet appartement dans lequel ils étaient retournés tous les deux, hier, pour récupérer une machine à laver pour Joe. Tout ne s'était pas totalement passé comme prévu et Adel avait un peu l'esprit embrouillé, à présent. C'était toujours leur appartement, Joe avait continué de le payer et ses parents à lui aussi. Il n'était pas encore allé les remercier, mais il le ferait rapidement. Ils n'avaient pas à le faire et pourtant, ils l'avaient fait. Peut-être qu'ils ne savaient pas que lui et Joe avaient rompu, ou peut-être qu'ils savaient simplement à quel point Adel se sentait bien dans cet appartement, qu'il le considérait comme son foyer, et ils avaient décidé de le lui garder en attendant qu'il revienne. Il avait vraiment envie d'y retourner, il en avait tellement envie ; mais il ne pouvait pas y vivre sans Joe, et il ne savait pas si c'était une bonne idée d'habiter de nouveau avec elle. Il hésitait, beaucoup. Trop.

Je pars de chez moi. Mets les pizzas à chauffer ! Adel esquissa un sourire en voyant le message de Viktoria, sa meilleure amie. Il ne prit pas la peine de répondre et reposa son téléphone sur le canapé, à côté de lui. Elle serait là dans quinze minutes, tout au plus. Il resta avachi devant la télé encore quelques temps, histoire de voir qui était le gagnant du jeu télévisé, avant d'appuyer sur le bouton off de la télécommande. L'appartement avait au moins un avantage : il disposait d'un four. Adel se demandait encore comment ils étaient arrivés à le caser, mais il ne se plaignait pas. Ça élargissait les possibilités de cuisine. Il avait prévu des pizzas, en effet, mais pas des surgelés. Il avait tenté de s'y résoudre, mais c'était plus fort que lui. Il aimait trop cuisiner pour acheter des plats tout préparés. La pâte à pizza se faisait vraiment en cinq minutes, et il avait eu qu'à étaler de la sauce tomate, déposer quelques lardons, des dés de jambons, plusieurs tranches de fromage de chèvres et saupoudrer le tout de gruyère râpé ainsi que de quelques assaisonnements. Ce n'était pas la mer à boire, vraiment. Il avait préparé ça en fin d'après-midi, attendant le signal de sa meilleure amie pour tout mettre au four. Il régla la minuterie, de sorte que cela sonne quand elle arrive. Il profita du temps qu'il lui restait pour passer un coup de balai, plus pour passer le temps que par réelle nécessité, avant de chercher parmi ses dvds celui qu'ils pourraient regarder ce soir. Il sursauta en entendant la sonnerie du four et alla jeter un coup d’œil. Le fromage était fondu et les pizzas étaient dorées comme il fallait. Il éteignit le four et referma la portière, les laissant au chaud le temps que Viktoria arrive. Il appuya sur le bouton central de son téléphone, mais il n'y avait pas de nouveau message. Il fronça les sourcils, étonné qu'elle ne soit toujours pas arrivée. Il pensa qu'il y avait probablement des bouchons en centre-ville, ou qu'elle avait oublié quelque chose chez elle, la forçant à faire demi-tour. Adel décida de rallumer la télé. Dix minutes plus tard, elle n'était toujours pas là. Il n'avait toujours pas de nouvelles. Il commença à s'inquiéter un peu plus sérieusement ; Viktoria n'habitait pas si loin que ça. Vik, tu fais quoi ? Pas de réponse, au bout de deux minutes. Les battements de son cœur accélérèrent malgré lui. Il appuya sur le petit téléphone à côté de son prénom, et porta son portable à l'oreille. La sonnerie tonna douze fois. Vous êtes bien sur le répondeur de Viktoria Leonov, je ne suis pas là pour le moment, merci de laisser un message. Adel raccrocha avant même d'entendre le bip. « Bordel, tu fous quoi ? » lâcha-t-il, plus pour lui que pour elle. Il se leva, fit trois fois le tour de son appartement - ce qui ne lui prit que quelques minutes -, avant d'attraper sa veste, pendue au porte-manteau à côté de sa porte d'entrée. Il serra la mâchoire. Ça faisait une demi-heure qu'elle était censée être partie, c'était un quart d'heure de trop. Et puis, Viktoria répondait toujours à ses messages, et rapidement. Quelque chose n'allait pas, Adel en était persuadé.