La sciure de bois embaumait la pièce dans une douce odeur de chaleur alors qu'au dehors la pluie battait son plein, frappant d'un air énervé le toit de verre de la véranda, mince couche de protection entre moi et la fin du monde. Le déluge, voilà ce qui nous faisait face. Dieu se rendait enfin compte de l'absurdité de la vie humaine, et y mettait fin. Moi, moi je m'en fichais. Tout ce que je voulais, c'était finir cette putain de moulure avant que Mina ne rentre. Heureusement pour moi elle semblait s'être mise elle aussi à m'éviter, passant son temps dans sa boutique lorsque je ne perdais pas le mien au bar à prétendre que tout allait bien. Je n'avais même pas été foutu de dire la vérité, ne serrait-ce qu'un morceau de celle-ci. "Mina et moi c'est tendu en ce moment." Des mots tout con qui auraient pu éviter des sourires faux et des félicitations mal placés. C'était surement ça le plus dur. Me voir dire à longueur de journée qu'elle et moi, nous étions fait l'un pour l'autre. Tu parles. Un frisson me parcouru soudainement. Mon dos se raidit, et une foutu crampe s'empara de ma main. « Putain...  »  Je lâchais mes instruments de travail, qu'aurais-je fais d'autre ? Me levant du tabouret sur lequel je m'étais posé plusieurs heures auparavant, incapable de dormir comme j'avais pu le faire dans les premiers temps de ma nouvelle vie, reprenant des forces pour tenir la nuit complète le bar le soir arrivé, je balayais du regard la pièce avant de trouver mon paquet de clopes. Mauvaise habitude prise chez les parents et que je ne parvenais pas à abandonner, encore moins depuis que la brune vivait chez moi. Quel idée avait-je eu là... Je passais ma main sur mon visage fatigué avant de sortir une cigarette et de l'allumer, faisant bien attention à ne pas laisser tomber mon allumette sur la sciure de bois tombée au sol lors de mes séances de bricolages. Je ne m'étais jamais lancé un défi aussi lourd que cette bibliothèque qui perturbait mes nuits et m'aidait à penser. Comme à mon habitude je m'étais dénudé, du moins en parti. Torse nu pour protéger un quelconque t-shirt de la sueur, et par le même temps empêcher la chaleur de me contaminer trop vite. Une bière à coté, le cendrier plein et un peu de musique, pas forcément très forte. Le bruit pour le bruit m'a toujours agacé. Le bruit, c'est ce qui attira mon attention. On frappait à la porte, de l'autre coté du grand salon. L'hésitation me prit. Mina avait ses clés, et mes frères bossaient surement encore. Personne n'avait jamais prit le temps frapper avant que Mina n'emménage. La clope au bec, j'attrapais mon t-shirt avant de l'enfiler maladroitement. J'ouvris la porte, pied nu et l'air de l'homme qu'on dérange en plein travail. Ce même air que j'avais apprit du visage de mon père depuis tout petit. « Hum, excusez-moi, j'ai du me tromper, je cherchais une dénommée Mina Talbot.» Je regardais l'homme. Un brun, bien trop vieux pour être un quelconque prétendant. Un banquier peu être ? Peu probable. C'était moi qui payait pour tout, alors ces hommes là je les connaissaient. « Elle n'est pas là. » Lui rétorquais-je alors que déjà l'homme enchainait, apparemment surprit lui aussi de se retrouver face à moi. Deux cons qui se regardent sans comprendre. « J'ai du me tromper d'endroit. » « Vous êtes au bon endroit. Vous lui voulez quoi ? » Lui demandais-je, de ce ton aimable comme un chien que je prenais lorsqu'elle était le sujet et que ça m'agaçait. Mes lèvres se resserrent sur la cigarette alors que je fronçais les sourcils malgré moi.

Mon cerveau vrillait sans arrêt depuis ce matin, vertige intense de la gueule de bois que je m'étais infligé la veille, consommant en même temps que les clients comme pour les inciter à boire plus encore. Pour ça j'étais bien le plus habile, mais le retour à la maison n'était jamais très agréable après. D'abord parce que conduire ivre n'était pas forcément mon truc. Parce que les douleurs du lendemain m'empêchaient de me concentrer sur quoi que ce doit d'important. Enfin, parce que les yeux de Wilhy se remplissaient de nuages lorsqu'elle les posait sur moi, me renvoyant à la face toute ma connerie et mon égoïsme. Un regard d'une violence inouïe pour elle qui pourtant ne disait mot ces fois là. Pourtant, assumer sans l'aide du whisky de rentrer chez soi pour y retrouver un lit vide alors que l'être aimé dort à l'autre bous du couloir était quasiment impossible en ce moment. C'était peu être a cause de la gueule de bois, mais je n'avais pas envie discuter. Alors voir cet homme, un parfait inconnu devant ma porte me dit me refermer instantanément. Il semblait tenir à cette entrevue, du moins celle qu'il aurait eu si Mina n'avait pas passé tout son temps à la boutique. Son explication quant à sa présence me laissa de marbre. Ce type était fou. « Ouais c'est ça, et moi je suis un Kennedy. » Son ton m'agaçait. Quant à ses mots... L'idée même me dégoutait. Mina avait déjà trop souffert de sa famille en mauvaise état, alors voir le premier venu se présenter de cette façon à notre porte dans le but glauque de prendre une place qui ne lui revenait pas... Je senti la colère monter malgré moi. Qu'il ne reste pas longtemps où je risquais de ne pas tout maitriser. « Ça ne vous regarde pas, qui je suis. Vous n'avez rien à faire là. » Lui assenais-je alors qu'une lueur de doute s'installait. Il avait les mêmes yeux. Ceux avec les nuages. « Je suis son fiancé. » Lui lançais-je quand même, croisant les bras après avoir reprit ma cigarette entre mes doigts crasseux, tâches de vernis et de peintures mélangés à la sciure du bois. Il ne semblait pas prêt à partir, ni moi à bouger. J'avais tout mon temps. Son regard se posa sur moi, me déstabilisant plus que je ne n'aurais voulu. Pas parce qu'il était impressionnant -j'avais vu bien pire dans mon bar- mais parce que devant moi se tenait soudainement une Mina furieuse. Une impression qui me mit mal à l'aise. « Elle bosse, elle ne devrait pas trop tarder. » Mon regard vint le balayer de la tête au pied. La pluie coulait derrière lui, parvenant parfois à laisser tomber quelques goutes sur ton corps long et fin. Mais je n'avais pas envie de le laisser entrer, pas après cette foutue révélation. Son père, et puis quoi encore.

Je ne sais pas ce qui était le pire à ce moment là, son regard assassin ou son ton des plus sérieux. Il semblait vraiment croire à ce qu'il disait et je n'en étais que plus énervé. J'avais été l'homme présent pour sécher les larmes de Mina et voilà que le premier type venu se présentait à ma porte et osait prétendre être son père ? Mon poing me démangeait et pourtant je ne fis rien d'autre que d'inspirer une longue bouffée de fumée. Celle-ci venait bruler le fond de ma gorge, douce sensation comparée au regard de l'homme qui me brulait la peau. Il ne fallait pas que je me démonte pourtant. « Ça ne me fait pas rire non, au contraire. Que de vous avoir là devant moi ça ne me fait pas rire du coup. Ça vous amuse de venir foutre la merde dans la vie des autres peu être ? Mina n'a pas de père et elle en a assez souffert comme ça. Personne n'a été là pour elle quand elle en avait besoin. Il n'y avait que moi quand sa mère est morte. Si vous étiez véritablement son père, alors vous ne seriez qu'une enflure. Ce type n'existe pas. » J'avais été dur, et franc. Mais je refusais de voir qui que ce soit venir faire du mal à Mina. Elle était trop fragile, encore maintenant, pour subir une déception de plus. Et si il avait été son père, le vrai ? L'homme ne l'ayant pas élevé, ayant abandonné sa mère et ayant continué sa vie comme si de rien n'était, sans jamais regarder en arrière... Si j'avais pu mettre la main sur ce type, dieu seul sait ce que j'aurais été capable de faire. La remarque qu'il lança me prit au dépourvu pourtant. Je fronçais les sourcils, pas bien sur de savoir pourquoi il se foutait de ma gueule. Je ne voulais pas avoir affaire à un con, pas après la nuit que j'avais passé. « Vous ne la verrez pas. » L'ordre était direct. Il était hors de question que je lui inflige ça. « Je ne suis pas quel sorte de malade vous êtes, mais je ne vous laisserais pas la briser. Pas encore. » Soudainement la pluie sembla décupler comme elle s'amusait à le faire depuis plusieurs jours. Un signe de Dieu peu être. Un coup de vent plus tard et je reculais dans la maison, lui laissant la voie libre. Qu'il rentre de toute façon, Mina risquait de ne pas être là tout de suite. Elle avait beau finir assez tôt, je savais bien qu'elle se forcerait à rester plus tard. Une manière de ne pas me voir, bien sur. Bon gré mal gré je refermais la porte derrière lui, avant de lui jeter un regard noir et d'écraser le reste de ma cigarette dans le premier cendrier venu. « Ne vous faites pas de film, une fois l'averse passée je vous fou dehors. Ça me ferait du mal d'être accusé de non assistance à personne en danger. » Ma voix s'était faite moqueuse. Sans plus de cérémonie je le quittais, rejoignant la cuisine pour me servir une nouvelle boisson fraiche. Je l'entendis me suivre et soupirais. « J'comprend pas pourquoi vous faites ça. Qu'est ce que vous y gagnez ? »  Sans attendre de réponse je me retournais vers lui et continuait. « Je vous connais non ? » Son regard me disait quelque chose, je le connaissais. Je l'avais déjà vu. Dans les yeux de Mina. Ce que j'essayais d'oublier.

Mon après midi était gâché pour de bon. Quand bien même l'homme se barrait maintenant, la mauvaise humeur était là. Ma bière, mes outils, ma musique. Connard. J'allais le mettre à la porte pour de bon lorsqu'il évoqua une visite de Mina et mon corps se raidit. Elle ne m'en avait pas parlé... Alors c'était lui, son père ? Je le dévisageais, sur le cul. C'était pour ça que ses yeux me semblaient familier. « Elle a fait ça ? » Bien sur qu'elle l'avait fait. J'avais séché ses pleurs, je savais à quel point le sujet était sensible pour elle. La famille, rien que ça. Une famille foireuse chez elle quand j'avais eu l'exemple du bonheur même. Je levais les yeux au ciel. « Bien sur qu'elle l'a fait. J'y crois pas... » C'était vexant, et pourtant logique. Nous n'étions pas vraiment ensemble, elle n'avait donc pas de compte à me rendre. Pourtant que de me savoir éjecté ainsi de sa vie me dérangeait. Le ton du fameux père monta, me faisant me raidir plus encore. « C'est une menace ? » L'homme m'avait tutoyé. Je craquais. Ce connard venait chez moi raviver chez Mina des émotions dont elle n'avait pas besoin pour le moment et voilà que je m'en prenais plein la tête ? Je n'allais pas laisser faire. Je n'étais pas du genre à me prendre la tête facilement, voir pas du tout. J'avais toujours été quelqu'un de cool. Mais ce type qui venait s'en prendre à Will ? Même pas en rêve. Ma voix se refroidit instantanément alors que je le regardais droit dans les yeux. « Pleurer par ma faute, c'est une blague ? Ça fait dix ans que je connais ta fille, et je peux te dire que j'ai du en sécher des larmes par ta putain de faute. Ne vient pas m'apprendre ce que c'est de tenir à elle. » Ne pas l'insulter, ne pas être trop violent, et ne surtout pas frapper. Si il était véritablement son père et qu'elle était venu le voir, alors on risquaient de se recroiser quelques fois. Et c'était loin de me plaire. « Tu crois être qui pour me juger comme ça ? Tu n'as jamais été là pour elle. Ce n'est pas parce que tu apparais un jour comme ça d'un coup que tu vas devenir son père. T'es juste un de ces types qui couchent avant de se barrer en plein milieu de la nuit, elle ne mérite pas ça. Tu ne la connais pas. » Je m'approchais, peu être trop dangereusement, de lui. Le regard noir dans le sien. « Tu ferais mieux de te barrer. Parce que là, c'est moi qui te menace. Et tu risques de le payer cher. » Ne pas taper. Ne pas taper. Ne pas taper.